Ce que cache l'exode massif des footballeurs français en Turquie
Valbuena, Clichy, Gomis, Nasri ou encore Menez. La Süper Lig turque va désormais parler français. Alors qu'ils n'étaient "que" 28 Français l'année dernière dans le championnat, cette année ils sont déjà 47 alors que le mercato n'est pas terminé. Enquête sur un exode massif vers le pays d'Erdogan.
Nasri, Valbuena, Gomis, Belhanda, Clichy, Menez, Dirar. Sans oublier au coaching Paul Le Guen. Hatem Ben Arfa et Bacary Sagna qui devraient suivre l'exode bientôt. On pourra former une belle équipe avec les joueurs de football français qui joueront en Süper Lig turque au cours de cette saison.
AFP
Nasri, Valbuena, Gomis, Belhanda, Clichy, Menez, Dirar. Sans oublier le coach Paul Le Guen. Hatem Ben Arfa et Bacary Sagna qui devraient suivre l'exode bientôt. On pourra former une belle équipe avec les joueurs de football français qui joueront en Süper Lig turque au cours de cette saison. Selon le Centre International d'Etude du Sport (CIES), il y a 47 Français en Anatolie alors que le mercato n'est pas terminé. Ils n'étaient que 28 en 2016. Les Français seront cette année plus présents en Turquie que les Brésiliens (30). Qu'est ce qui pousse ces footballeurs à braver les risques d'attentat d'un pays impliqué dans la guerre syrienne et un pouvoir de plus en plus despotique d'Erdogan?
Des joueurs dans le creux de la vague
Samir Nasri qui sort d'un prêt en demi-teinte au FC Séville. Mathieu Valbuena qui jouait épisodiquement à l'Olympique lyonnais. Jérémy Menez qui cirait le banc de touche de Bordeaux et Gaël Clichy celui de Manchester City. Beaucoup des joueurs tricolores qui se sont tournés vers le tremplin turc sont à la relance. "Si vous êtes au top de votre carrière, vous voulez rester dans le gratin des clubs européens constate Vincent Chaudel, expert en marketing sportif au sein du cabinet de conseil Wavestone. Si vous ne le pouvez plus, vous allez regarder des clubs challengers ou un dernier contrat dans des destinations plus exotiques". La Turquie est considéré par beaucoup de joueurs comme un tremplin pour mieux rebondir ailleurs. Un choix audacieux qui avait réussi à Franck Ribéry qui était passé par Galatassaray en 2005 après le FC Metz avant d'exploser à l'Olympique de Marseille.
Rester dans le radar des clubs européens
Les grands clubs turques participent aux compétitions reines européennes: la Ligue des champions ainsi que l'Europa Ligue. Un bon moyen de "rester dans le radar des grands clubs pour Nasri ou Gomis", pour l'expert de Wavestone. Un avantage que les clubs chinois, qataris voire américains ne peuvent offrir. "Partir aujourd'hui en Chine, c'est un choix économique intéressant, développe Vincent Chaudel. Mais sportivement l'intérêt n'est pas encore démontré et c'est un trou noir médiatique. Le joueur sera dans la lumière asiatique, il sera compliqué pour lui de revenir dans un grand club européen".
"Entre aller jouer en Turquie, en Chine ou aux Etats-Unis c'est très différent, glisse Philippe Dardelet, directeur conseil sport business du cabinet Deloitte. L'Amérique signifie vraiment la fin de la carrière du joueur comme l'ont fait Gerrard ou Pirlo. Alors qu'en Turquie, le joueur reste visible et à disposition des clubs européens. C'est une façon de se relancer intelligemment. C'est un fin compromis entre des joueurs qui restent visibles et ceux qui veulent franchir un cap".
Le seul contre-exemple en la matière tient à l'improbable retour de Paulinho du Guangzhou Evergrande au FC Barcelone pour 40 millions d'euros.
L'assouplissement de la limite de joueurs étrangers
Durant très longtemps, le football turc s'est montré frileux vis-à-vis des footballeurs étrangers. "C'est un éternel débat en Turquie précise Ceyhun Kaplan, consultant sur le football turc. Cela changeait chaque année. Entre 2009 et 2014 cela a été 6 puis 8, après c'était 4 titulaires et 3 remplaçants. Depuis 2 ans, la limite est quasiment levée avec 14 joueurs étrangers par effectif". L'objectif de la limitation d'étrangers était d'avoir des bons joueurs turcs formés. Mais les instances turcs ont constaté que cette politique n'avait pas été couronnée du succès escomptée.
Des droits TV en forte hausse
A l'automne dernier, la Süper Lig a vu ses droits TV augmenter sensiblement. Ils ont été décernés au groupe Digiturk, filiale du géant qatari beIN Sports, pour la coquette somme de 500 millions de dollars par saison jusqu'en 2022 (427 millions d'euros). Le football turc bénéficie d'une hausse de 65 millions d'euros par rapport au précédent contrat (362 millions d'euros annuel).
Une fiscalité ultra avantageuse...
Pour attirer les importants salaires des footballeurs français, la Turquie peut mettre en avant le taux d'imposition sur le revenu le plus faible de l'Europe du foot (15%). Une somme modique comparé aux environs de 45% en France et 50% en Angleterre. "Un joueur de foot coûte 130% de plus en France qu'en Turquie, précise Ceyhun Kaplan, citant une étude KPMG sur le sujet. Forcément cela fausse la compétitivité de la Ligue 1".
...Donc une opération financière juteuse
3,35 millions d'euros net par an pour Gomis, 4 millions d'euros pour Valbuena ou Samir Nasri et 1,5 million pour Paul Le Guen. Au delà "du projet sportif" souvent vanté par les joueurs c'est le projet financier turc qui les fait rêver. "Du point de vue des joueurs, ils gagnent plus que ce qu'ils avaient en France", analyse Philippe Dardelet.
"La Turquie paie des salaires plus concurrentiels que la Ligue 1 ou même la Bundesliga constate Raffaele Poli responsable de l'Observatoire du football du CIES. Souvent ces joueurs n'ont plus leur place en Angleterre, le pays qui paie le plus cher l'excellence. Ils abandonnent leur ambition de faire partie des tous meilleurs championnats".
Une ambiance habituellement chaude dans les stades
Souvent les clubs étrangers redoutaient le chaud accueil des supporters turcs lors des matchs de compétitions européennes. "La Turquie aime le foot, c'est un public très chaud et bouillonnant" juge Vincent Chaudel.
Pourtant l'année dernière les tribunes des stades turques faisaient grises mines. "La Ligue turque a mis en place une carte de supporter obligatoire pour rentrer dans le stade. La majorité des groupes de supporters ont boycotté la saison". D'autant plus que la société choisie pour produire et gérer ses cartes de supporters semble bénéficier à un proche du président Erdogan. Avec le recrutement de stars cette saison comme Pepe, Negredo et la présence d'Eto'o, nul doute que les stades devraient enregistrer une hausse de fréquentation cette saison.
Un fort soutien politique à la diplomatie par le football
"La Turquie a une soif de reconnaissance internationale sur le foot, détaille l'expert de Wavestone Elle l'a obtenue dans le basket et en F1 en accueillant un grand prix. Elle veut désormais l'obtenir dans le foot. Le pays était candidat pour organiser l'Euro 2020. Comme c'était la seule candidate, l'UEFA a décidé d'opter pour une autre organisation dans 13 villes d'Europe plutôt que dans un pays".
Une politique de rénovation et de construction de nouveaux stades a également été mené en parallèle avec le soutien financier de l'Etat turc. Et il se murmure que les dettes fiscales des grands clubs du pays sont régulièrement annulées afin de favoriser leur compétitivité.
Pas de peur sécuritaire
Ceyhun Kaplan confie qu'il a conseillé un joueur ayant opté pour la Turquie cet été. " Il a choisi un club à côté de la Syrie. Dans sa démarche, la question sécuritaire ne se posait même pas. En Europe on voit Erdogan qui affermit son pouvoir dans un pays en guerre en proie au terrorisme. Mais en Turquie, les joueurs ne le voit même pas passer. Ils ne passent leur temps que chez eux du côté de leur piscine".
Un point de vue partagé par Vincent Chaudel. "Les footballeurs, dans beaucoup de pays, ont toujours eu des revenus à part et des rythmes de vie à part par rapport à la population. Leur quotidien se limite à maison-entraînement et parfois stade. Et ils vivent presque hors-sol. Les joueurs français seront très entourés et non livrés à eux-mêmes". L'expert de Wavestone se souvient que Samuel Eto'o alors en Russie (Anji Makhatchkala entre 2011 et 2013), allait à l'entraînement en hélicoptère. Un bon moyen de dribbler les problèmes sécuritaires.
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