Le rapport secret de la FIFA (qui dit tout)v-html
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Pourquoi la FIFA a interdit la pratique de la propriété tierce. Une décision radicale.
En décembre 2014, le comité exécutif de la FIFA décide de prohiber la pratique permettant à un tiers de détenir les droits économiques (dits « droits fédératifs ») d’un joueur, en dehors du club pour lequel il joue. C’est ainsi qu’un footballeur pouvait être bradé « à la découpe » : x pour cent là, x pour cent ici, une jambe chez tel fonds d’investissement, une autre chez tel autre, les pieds chez un troisième. La mesure prohibitionniste est entrée en vigueur en mai 2015, assortie d’une période d’adaptation.
Auparavant, le gouvernement du football avait commandé une étude pour évaluer l’étendue de la propriété tierce (dite TPO) dans le football. Fléau pour les uns, bouée de sauvetage pour les clubs incapables de financer, seuls, des transferts toujours plus onéreux, la pratique divisait déjà le monde du foot pro. Le second volet de cette étude fut remis à la FIFA en juin 2014, au plus fort de la controverse. Ce rapport n’a jamais été rendu public, le voici en exclusivité pour Hors-jeu.
L’étude évoque plusieurs scénarios de régulation. Et si elle ne propose pas l’interdiction pure et simple de la propriété tierce, elle dépeint une situation d’une complexité impressionnante. Le rapport met ainsi en évidence un détournement et une perte de contrôle du marché des transferts. Elle évalue aussi à plus de 500 millions de dollars le montant tombé, en 2013, dans la poche des investisseurs plutôt que dans les caisses des clubs. Soit environ 10 % de la somme totale des transferts.
Les points clés du rapport
Les rouages du football menacés
L’étude met en évidence un monde opaque, où les mélanges des genres sont légion. Il existe une multitude de montages qui permettent de faire le commerce des droits économiques des joueurs.
Conflits d'intérêts
Tous ces acteurs ont besoin les uns des autres, ce qui ouvre la voie à d’énormes conflits d’intérêts. Par exemple, un entraîneur peut choisir de faire jouer untel, qui appartient à un fonds d’investissement dont il est membre du conseil, afin d’augmenter la valeur de « l’actif ». L’équité sportive est bafouée, puisqu’il sera plus intéressant de favoriser un joueur sur lequel de l’argent a déjà été investi plutôt qu’un jeune joueur formé localement. Ce double jeu est également possible pour les propriétaires de club ou les directeurs sportifs, qui peuvent user de leur position dans le but de s’enrichir.
Le plus souvent, les compositions des conseils des fonds d’investissement sont inconnues.
Opacité
Ces intérêts communs amènent à une cartellisation du marché des transferts, désormais contrôlé par quelques individus, souvent les grands intermédiaires. Pour les acteurs importants, cette cartellisation se concrétise par la mise en place d’une chaîne globale qui peut maîtriser un joueur depuis son plus jeune âge jusqu’à la célébrité. La composition idéale: une académie qui découvre le joueur, un club qui le met en valeur, une agence de représentation qui le monnaie et un fonds d’investissement qui récolte les bénéfices. L’ensemble est contrôlé par une holding, souvent basée dans un pays où la législation permet aux propriétaires de garder l’anonymat, à l’abri de toute indiscrétion bancaire.
Structure des holdings
Plus grave : les accords de propriété tierce étant privés, ils échappent à la législation sportive (litiges, mercato…). L’émergence d’un marché parallèle incontrôlé était un risque que les instances dirigeantes n’ont pas voulu prendre.
Détournement de transfert
Dans le football, le marché des transferts a un objectif : permettre aux clubs de se renforcer ou de se régénérer. Un but louable, mais que la propriété tierce détourne. Les transferts deviennent un instrument spéculatif au profit d’entités externes au football. La recette est simple : il suffit de multiplier les mouvements de joueurs avant la fin des contrats. Un brassage qui favorise l’inflation des indemnités de transfert.
L'argent avant le jeu
L’intérêt sportif passe alors après l’intérêt économique privé, ce qui n’est pas sans incidences graves sur le jeu lui-même. La multiplication des mouvements amène une instabilité des équipes, ce qui entraîne souvent une diminution de la qualité du jeu proposé. Côté supporters, la soumission aux intérêts économiques ou la spéculation avérée sur des êtres humains peuvent engendrer un sentiment de dégoût, voire de trahison, mauvais pour la notoriété du club. Des sentiments auxquels peut s’ajouter la suspicion quand le spectateur découvre qu’un même propriétaire ou fonds d’investissement « gère » des joueurs dans deux équipes directement opposées. Ce qui a été notamment le cas lors du tour préliminaire de la Champions League 2015-2016. Dans le duel entre Monaco et Valence, le public pouvait avoir l’impression que le maître du jeu était l’agent de joueur portugais Jorge Mendes, maître de la destinée de plus de dix joueurs répartis dans les deux formations.
Indispensable pour certains clubs
Malgré les risques, les adeptes de la propriété tierce restent nombreux, partout où la pratique est répandue : Amérique du Sud, Portugal, Espagne, Balkans. Vendre les droits économiques des joueurs à des entreprises privées est devenu une question de survie pour certains clubs en manque de liquidités. Sans cette manne, beaucoup connaîtraient la faillite. D’où la multiplication d’actions en justice, en Europe, depuis l’interdiction prononcée par la FIFA.
Pendant que la bataille juridique se profile, les investisseurs ont déjà trouvé le moyen de contourner l’écueil. Dorénavant, ceux-ci n’achètent plus directement des parts de joueurs, mais ils « prêtent » l’argent aux clubs de manière à ce que ceux-ci puissent procéder à leur recrutement. La répartition de la plus-value future est, elle, détaillée dans des accords privés. Les nouvelles règles sont ainsi respectées, mais le résultat est le même.
Premières sanctions en Belgique
Une suspension de quatre périodes de transferts et 150 000 francs suisses d’amende: c’est la sanction que la commission de discipline de la FIFA a infligée au club belge de Seraing (deuxième division) pour avoir violé les nouvelles règles interdisant la propriété tierce. La police du football reproche au club d’avoir vendu les droits économiques de plusieurs de ses joueurs à des tiers, en l’occurrence l’obscur fonds d’investissement Doyen. De plus, les contrats laissaient la porte ouverte à ces derniers pour peser sur l’indépendance du club et la politique des transferts.
Tombée le 17 septembre 2015, cette décision est une première dans le monde du football. Lourde, la sanction se veut dissuasive. Face à l’ampleur du phénomène et à l’opposition suscitée par l’interdiction dans certains pays, comme l’Espagne, pas sûr qu’elle fasse mouche.
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